[Extrait du Tome 1 de mes "Mémoires". 1945. J'avais 8 ans à peine.]
Mon père m’emmenait parfois sur sa moto,
Quand il allait faire le tour de ses travaux,
Sur les petites routes de tout son secteur,
C’était alors pour moi un immense bonheur !
J’étais sur le “tan-sad” et je me cramponnais
Dans les virages quand la moto s’inclinait,
Mais on n’allait pas vite, la “Motobécane”
Était déjà ancienne, et sujette à des pannes…
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Mais en quarante-cinq, un soir mon père dit :
« Je t’emmène à la gare, prépare-toi, Guy ! »
Il sortit la moto, et je grimpais dessus ;
« Tiens-toi bien ! dit ma mère, et mets ton pardessus,
Car si vous rentrez tard, il pourrait faire froid ! »
Étonné je me suis bien demandé pourquoi,
Elle disait cela comme si c’était loin,
Car la Gare de Reims, je la connaissais bien
On y passait toujours quand on allait là-bas…
Mais nous voilà partis. Mon père s’arrêta
Pas très loin de la porte d’où sortaient des gens,
Aux petites valises, qui ouvraient tout grands
Leurs bras à d’autres qui, longtemps, les étreignaient,
En pleurant semblait-il, et criaient, s’appelaient…
Des autos, ou même des charrettes, les attendaient,
Parfois des groupes avec drapeaux les escortaient,
Et je me demandais pourquoi nous restions là…
Mais mon père me dit : « Surtout ne bouge pas !
Je reviens tout de suite, et toi, tu m’attends là. »
Je le vis s’avancer vers un homme esseulé,
Attendant, bras ballants, comme désemparé,
Semblant comme perdu, et l’air un peu hagard,
Maigre, flottant dans un costume un peu bizarre
De bleu et blanc rayé, comme un grand pyjama…
Et dans l’”Union”, j’en avais vu, déjà !
Mon père va vers lui et lui dit quelques mots,
Puis avec un grand geste, montre la moto.
L’homme semble hésiter et tend le doigt vers moi ;
Mon père doucement lui prend alors le bras
Et l’ayant amené, me dit : « Tu montes là ! »
Je grimpe sur le réservoir, le moteur chaud
Me brûle un peu les jambes, mais je ne dis mot.
L’homme péniblement s’installe à l’arrière,
Et mon père démarre, et c’est pour moi mystère
De savoir où l’on va ? Il me dit : « À Courmas. »
Je connaissais l’endroit, nous y allions parfois,
Même avec la remorque et avec les vélos,
Ce n’est pas loin, mais il ne fait vraiment pas chaud,
Et la nuit qui commence à tomber, les nuages
Tout cela fait que la route me semble étrange…
Personne ne dit mot, le bruit de la moto
Seul retentit comme si allant au galop
Des fantômes filaient dans le flou de la nuit,
Mais soudain on s’arrête, l’homme a dit : « Ici. »
Une maison petite, dans la rue déserte,
L’homme qui remercie, descend et fait un geste :
Mon père dit : « Non, non… » et nous voilà partis.
Nous ne saurons jamais ce qu’il trouva chez lui,
Quel accueil fut le sien, ce qu’il est devenu,
Mais nous étions bien fiers de l’avoir secouru.
27 janvier 2025